
Aux lendemains de la Libération, Ilarie Voronca (1903-1946) rédige Courtoisie de la fatigue et tire sa révérence. On s’empressera de dire qu’il a mis fin à ses jours à cause d’un chagrin d’amour, on criera haro sur Rovena et on enterrera aussitôt l’écrivain et son œuvre. Mais ce n’est pas si simple. Les archives retrouvées récemment chez ses derniers protecteurs, les instituteurs aveyronnais, Jean et Elise Mazenq, révèlent bien d’autres motifs, bien d’autres responsables. Son journal, ses lettres et manuscrits inédits permettent une relecture de l’ensemble de son œuvre injustement tombée dans l’oubli. On y découvre l’itinéraire d’un homme incompris, traqué, humilié, blessé. Voronca fut poète de la jeune avant-garde roumaine, romancier, journaliste, diplomate, traducteur et critique littéraire. Il fréquenta les plus grands écrivains de son temps comme Tzara, Ionesco, Aragon ou Eluard. Dans le Montparnasse d’avant-guerre, il inspira Brauner, Brancusi, Chagall et Delaunay. Quand les ténèbres s’abattirent sur l’Europe, il fut condamné à l’exil et à la clandestinité. À Marseille, il fut employé de bureau. À Orpierre, il s’improvisa berger et bûcheron. Depuis son refuge de Moyrazès, il aida les maquis locaux. Il déambula dans les rues de Rodez avec le fantasque Artaud et se retira dans une abbaye. À Toulouse et à Paris, il enregistra des chroniques radiophoniques avant de sombrer dans l’Invisibilité.
Ces expériences éclectiques rendent ses œuvres originales et universelles, des œuvres philosophiques qui doivent être éditées ou rééditées pour le bonheur de tous. Il aimait la vie, l’amour, l’amitié, la nature et les petits plaisirs du quotidien qu’il sublimait dans sa « Poésie commune ». Sa passion pour la langue et la culture françaises aurait dû le placer aux premiers rangs des auteurs francophones. La limpidité et l’authenticité de son style touchent toutes les générations de lecteurs en quête de repères. Au moment où l’Histoire bégaie, nous avons plus que jamais besoin de son regard lucide et enchanté sur le monde qui nous entoure. Cette biographie veut réparer l’injuste ostracisme dont il a été victime de son vivant et après son décès.